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Chroniques
Les Traversées Baroques
L’Âge d’or de San Marco di Venezia
Autant que dans les considérations du philosophe campanien Giordano Bruno (1548-1600), l’intense vie active des idées à la Renaissance italienne se ressent dans la musique alors composée à Venise. De cette incomparable fertilité artistique, la démonstration nous parvient grâce à un nouveau dimanche de concerts donnés lors de la trente-cinquième édition du Festival de l’Abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache.
Au rendez-vous, digne des grandioses Jours de Fêtes vénitiennes, la matinée revient aux Traversées Baroques. Basé à Dijon, l’ensemble spécialisé dans la musique européenne du XVIIe siècle, que dirige Étienne Meyer, propose un programme unissant des pages du cornettiste et maître de musique à l’école de musique de Saint-Marc, Giovanni Bassano (1558-1617), à celles de l’organiste et compositeur principal de la basilique, Giovanni Gabrieli (1557-1642). Dans l’atmosphère unique, aussi conviviale qu’exigeante pour les artistes, de l’abbaye qui renaît après la cruelle annulation de son festival de l’été dernier, c’est l’épreuve du feu pour le programme du cinquième disque des Traversées Baroques (San Marco di Venezia – The Golden Age).
Confitebor tibi Domine (Je louerai l’Éternel), lance la basse Renaud Delaigue [lire nos chroniques de Médée, du concert Domenico Mazzocchi, de Giulio Cesare, Tosca, L’Enfance du Christ, Pelléas et Mélisande], ouvrant le festin de chants liturgiques par la voie de l’eurythmie. Les voix participent intensément de la fête, qui tire déjà des trombones capiteux et du basson tortueux jusqu’au tournant de l’allégresse (exultabit) surgie avec un nouveau psaume mis en musique par Gabrieli. La clarté de l’orgue, l’épure vocale générale et le soprano vivifiant de Capucine Keller, en complicité contrastée avec le grave des chanteurs, rendent sensible le lyrisme particulièrement fidèle à Bassano pour exprimer : Viri sancti gloriosum sanguinem fuderunt pro Domino (Des hommes saints ont versé leur sang pour le Seigneur). Nul n’échappe, dès le somptueux unisson initial, à l’évidente commisération du Miserere miei de Gabrieli. Avant la fin paisible sur l’idée de judicaris (jugement), l’oreille fine a le coup de foudre pour le soprano frais, soigné et profond d’Anne Magouët [lire nos chroniques du 26 avril 2006, du 22 août 2012, du 27 juin 2015 et du 25 juillet 2016].
Gorgée de cuivres mélodieux, la Canzon prima de Gabrieli avance telle une marche et relève de la musique spirituelle la plus magnifique. Aux ultimes tourbillons d’orgue répondent les premiers applaudissements du jour. Puis le chant reprend, céleste, avec Capucine Keller et davantage de timbre, d’engouement aussi (pour l’appel à la Vierge Ave, Regina coelorum). Après le superbe chant d’amour rêveur Veni dilecte mi, variation de Bassano sur la musique de Palestrina, il est bon de flâner encore à travers les œuvres de Gabrieli, avec la charmante ébullition d’Eructavit cor meum signé de son neveu Andrea. Avec gourmandise, les jeux de voix d’In Ecclesis assoient la symphonie, avant que le captivant Quem Vidistis, pastores n’augure les onctueux Alleluia, de cette seconde partie de concert.
Enfin, après un solo transcendant à l’orgue (Canzon a la francese de Claudio Merulo), la gloire émane de Nativitis tua (Bassano). La découverte de tant de splendeurs restées enfermées depuis près de quatre cents ans est si savoureuse qu’on n’oserait presque les goûter. En conclusion, Vox Domini (Gabrieli) mêle élan majestueux et miséricorde rédemptrice. Au midi du paradis baroque en Thiérache, l’ascension grâce aux trésors vénitiens se termine avec un chaleureux rappel de la fin du Confitebor tibi Domine qui emporte toute conviction. Et la basilique Saint-Marc nous appelle encore !
FC